In cauda venenum
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Et personne ne créa...

Declan O’Connor

In Cauda Venenum

Une nouvelle de Siegfried Gautier (1993)

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1. La genèse fragmentée de Declan O’Connor

2. Declan O’Connor est un sale type

3. Declan O’Connor, particule métaphorique

4. L’homme qui avait vu Declan O’Connor

5. Le yo-yo de Sisyphe

 


 

 

1. La genèse fragmentée de Declan O’Connor

 

 

***

 

à l’intérieur. Pourquoi donc avait-il fermé à clefs un coffre qui ne contenait rien ? C’était incompréhensible. Les papiers les plus secrets de Bruno – notamment ceux qui concernaient sa double-vie – étaient, eux, facilement accessibles. Ce coffre clos avait-il une signification ? Etait-ce un message, un indice laissé là ostensiblement ?

    Elle se laissa choir dans le large fauteuil qui trônait contre le bureau. A côté du cendrier où se trouvaient encore quelques mégots de cigarettes sans filtre était posée une vieille photographie encadrée. Renée connaissait bien cette photo (elle possédait la même, abandonnée depuis longtemps au fond de son sac à main), une photo de vacances prise à Venise quinze ans plus tôt. Elle était encore jeune à l’époque, et Mathilde n’était qu’une enfant. Oui, c’était l’été de ses onze ans, l’été à la fin duquel elle s’était cassé la jambe en tombant d’un arbre. Mathilde était un vrai garçon manqué, toujours à vouloir faire comme son père. Nous l’adorions toutes les deux, et lui aussi nous aimait. Il nous appelait toujours " les filles ". Je devais avoir à peine trente ans...

    Les trois personnages de la photo lui souriaient de leurs sourires bronzés. Bruno avait passé un bras autour des épaules de Renée (cette souriante jeune femme d’une trentaine d’années), et son autre main était posée sur la nuque de la petite Mathilde qui faisait une grimace en direction de l’objectif, c’est-à-dire du touriste anglais qui avait gentiment accepté de jouer le photographe pour que toute la famille puisse apparaître sur la photo. Une famille unie. Soudée par le personnage central, cet homme d’âge mûr aux tempes précocement grisonnantes.

    Qui était-il ? Un bon père et un bon mari, auraient dit tous les amis de la famille. C’est aussi ce qu’auraient dit Mathilde et Renée, avant sa disparition incompréhensible, la veille de ses cinquante-cinq ans.

    Le bruit criard de la sonnette sortit brusquement Renée de ses pensées. Elle descendit ouvrir la porte d’entrée et se trouva face à face avec Mathilde, qui lui dit gravement : " C’est moi ".

– Entre vite, dit Renée, tu vas prendre froid. J’allais me faire du café. Tu en veux ?

– Oui merci, Maman. Mais je ne fais que passer. Il faut que j’aille chercher Denis chez la nourrice, répondit Mathilde en ôtant son écharpe et son manteau.

    Puis, elle alla s’asseoir devant la petite table basse du salon. Elle alluma une fine cigarette démesurément longue à l’aide d’un extravagant briquet zoomorphe, avant de s’apercevoir qu’il n’y avait pas de cendrier sur la table.

– Mais où est donc le cendrier de Papa ? s’écria-t-elle.

– Celui en terre cuite ? demanda Renée, gênée, en revenant de la cuisine. Je ne sais pas. J’ai dû le ranger quelque part.

– Mais...

    Mathilde ne trouva rien à ajouter. Qu’aurait-elle pu dire ? Il lui semblait sacrilège de déplacer une des marques les plus familières de l’existence de son père, acte qui revenait précisément selon elle à nier, à effacer cette existence.

– Où puis-je en trouver un ? demanda-t-elle en laissant percer dans le ton de sa voix toute sa désapprobation.

– Là-bas, sur le buffet, je crois qu’il y en a un petit, en verre, répondit Renée.

    Un silence gêné s’instaura tandis qu’elles buvaient leur café. Enfin, Mathilde se décida à aborder le sujet qui la tracassait.

– Toujours aucune nouvelle ? demanda-t-elle.

– Non, toujours rien.

– Et Tonton Albert ?

– Il fait tout ce qu’il peut, le pauvre homme. Il m’a appelée ce matin, de Toulouse. Il a fouillé tous les hôtels mais n’a trouvé aucune trace de ton père. Je pense que Bruno... enfin, je crois qu’il ne veut pas être retrouvé. La piste s’arrêtera certainement à Toulouse.

– Mais Maman, comment peux-tu dire ça ? Il faut le retrouver... cela ne fait que deux semaines. Il donnera bientôt signe de vie. Il a dû avoir un problème, être obligé... il ne peut pas être parti comme ça, sans raison. Nicolas a pensé que, peut-être, c’était l’âge... tu sais... qu’à cinquante-cinq ans, il avait eu envie d’être un peu seul. Etre marié depuis si longtemps, pour un homme...

– Je ne pense pas que le problème soit là, répliqua Renée, sèchement, mais au fond d’elle-même, elle pensait : et si c’était vrai ? Peut-être qu’il en a eu assez de moi, que je suis devenue trop vieille et qu’il m’a quittée pour une autre, plus jeune...

    Pourtant, elle n’avait rien trouvé dans les papiers de Bruno qui puisse laisser envisager une telle éventualité. Elle lui avait bien découvert une double-vie, mais la face cachée de cette existence ne révélait justement rien de ce genre. Ce qui était choquant, blessant, c’était que sa propre fille pût y avoir pensé. Que savait-elle, d’abord, du couple que formaient ses parents et de leur intimité ? De quel droit osait-elle lui attribuer une responsabilité dans le départ de Bruno ?

    Mais Mathilde insista :

– Pourquoi en es-tu si sûre ?

– Parce que j’ai lu ses papiers, et ce que j’ai appris m’incite à croire qu’il y a une autre raison, mais je ne sais pas laquelle, dit Renée en regrettant aussitôt ses paroles (elle avait cédé à une impulsion d’orgueil pour faire taire les insinuations de sa fille, mais elle se reprochait déjà de lui avoir ainsi révélé qu’elle avait découvert quelque chose).

– Tu as fouillé dans son bureau ? s’indigna Mathilde.

– Ne sois pas sotte, ma fille, répondit Renée avec exaspération. Pour essayer de le retrouver, il fallait bien que je cherche s’il n’avait pas laissé quelque chose qui puisse m’éclairer, me donner une piste.

    A ces mots, Mathilde se mit à pleurer, en balbutiant : " Oh ! Papa ! Pauvre Papa ! "

    Renée ne fit pas un geste vers sa fille. Elle ressentait comme du dégoût en se rappelant la photo sur le bureau de Bruno. Une famille unie. Bruno, Renée et Mathilde : bonheur et amour, sourires, regards pétillants... Tout cela n’avait-il été qu’une illusion, qu’une photo posée sur un bureau ? Quel rapport y avait-il entre cette image et cette grande jeune femme au visage humide qui à présent l’accusait : " tu... tu es si froide. C’est à croire que tu es contente que Papa soit parti ! "

    Il y eut un mouvement dans l’air, suivi d’un claquement. Mathilde se frotta la joue gauche, soudainement devenue rouge. Ses larmes redoublèrent. Elle se moucha et dit en reniflant : " Oh ! Excuse-moi, Maman. Je suis si inquiète, tu comprends. Je ne sais plus ce que je dis. C’est pour ça que je n’arrête pas de fumer. Je le devrais, pourtant, je sais. Quand on est enceinte de

 

***

 

vous crois, Albert, et je sais que vous avez fait l’impossible. Je vous assure que vous n’avez rien à vous reprocher.

– Mais je ne comprends vraiment pas pourquoi il a fait ça. Pourquoi il vous a fait ça. Quand-même, une fausse identité ! Il n’avait aucune raison... Comment retrouver sa trace, maintenant ? Oh ! Renée, je suis tellement désolé.

– Je sais, Albert. Vous n’y pouvez rien.

– Ma pauvre Renée ! Je ne reconnais plus mon frère. C’est monstrueux de vous faire ça. Lui qui était si stable, qui aimait tellement son travail et sa famille... J’ai cherché partout... partout, je vous assure. J’ai même fait passer une annonce dans les journaux de Toulouse...

– Je vous suis très reconnaissante pour tout le mal que vous vous êtes donné, Albert. Vous ne pouvez rien faire de plus, à présent.

– Oui, peut-être. Mais si je peux vous aider en quoi que ce soit, n’hésitez pas à m’appeler.

– Ne vous inquiétez pas, je tiendrai le coup. Tout s’éclaircira un jour.

– Espérons-le ! Mais si vous avez besoin de quelque chose, n’hésitez...

– C’est promis, Albert, c’est promis.

– Bien, alors je vous laisse. Mais vous êtes sûre que...?

– Oui, oui, rassurez-vous. J’ai ma fille pour me soutenir. Au revoir, Albert.

– Au revoir, Renée. Je passerai vous voir dès que je le pourrai.

– D’accord, et merci pour tout. Au revoir.

    Elle raccrocha avec un " ouf ! " de soulagement. Le taxi l’attendait déjà devant le pavillon. Elle enfila son manteau, prit sa valise, et après avoir jeté un dernier coup d’œil dans la maison, elle sortit.

 

 

 

 

CHAPITRE VI

 

    Le taxi l’emporta jusqu’à la gare. Là, elle prit un train en direction de D***. Que diraient Mathilde et Nicolas lorsqu’ils s’apercevraient qu’elle était partie, elle aussi ? Elle ne put s’empêcher de sourire en songeant à la surprise que son départ causerait. Bruno avait-il ressenti le même sentiment d’amusement ?

    Elle le savait, à présent, il était impossible de chercher à comprendre les motivations de son mari. Pour quelle raison un homme de cinquante-cinq ans, marié, père de famille, déjà grand-père, disparaît-il du jour au lendemain ? A quoi bon chercher une explication plausible à une telle décision ? Etait-ce même une décision ? Ne plus rien décider, se laisser emporter par le flot tumultueux des événements, sous la pression d’obscures pulsions, sans offrir de résistance... Comme si la conscience n’était en fin de compte qu’un petit bouchon de liège flottant difficilement, ballotté, noyé, traversé de toutes parts par les courants, comme si la seule réalité n’était pas ce ridicule bouchon affolé mais uniquement le flux qui le tourmente.

    Renée sursauta. La métaphore du bouchon ne lui était pas venue par hasard. C’était la seule notion claire qu’elle eût jamais pu tirer d’un livre que Bruno avait écrit quelques années auparavant, ouvrage confidentiel accueilli platement par les spécialistes et ignoré du commun des mortels, à tel point que l’éditeur avait du le mettre au pilon.

    Cette métaphore était-elle la clef du comportement de Bruno ? Pour espérer le retrouver, il faudrait suivre le même chemin que lui, un chemin peut-être entièrement aléatoire. Démarche impossible, songea Renée. Mais que faire d’autre ?

    Declan O’Connor : quel drôle de nom ! C’était le nom inscrit sur les quittances qu’elle avait trouvées dans les papiers de Bruno. Elle y avait aussi découvert tous ces autres documents : relevés de compte, factures, faux-papiers, à divers noms, tous plus exotiques les uns que les autres : Samuel Bishop, Kurt Vander, Antonio Ramirez Cisteron, Pavel Klansky... et même un étrange Yukio Fujikawa. Mais celui qui revenait le plus fréquemment était Declan O’Connor.

    Si Mathilde avait pu voir tous ces papiers, elle en aurait conclu que son père était en réalité un agent secret qui avait été contraint de quitter précipitamment sa couverture, probablement pour ne pas mettre sa famille en danger. C’eût été pour la jeune femme une raison supplémentaire d’admirer son père. Peut-être même avait-elle toujours espéré quelque chose de ce genre. Son père, ce demi-dieu, devait bien être, au bout du compte, autre chose que ce simple petit bonhomme sympathique et inoffensif perpétuellement plongé dans ses livres.

    Renée, elle, n’avait pas un seul instant envisagé cette possibilité. Bruno ne pouvait être autre chose que ce qu’il avait toujours paru être. Il avait seulement dû renoncer à l’effort, à l’illusion de la cohérence... toutes ces fausses identités n’avaient pas de consistance, elles n’étaient qu’un jeu sans fondement, sauf peut-être – mais pourquoi ? – celle correspondant au nom de Declan O’Connor.

    La même chose aurait peut-être pu m’arriver, songea Renée avec étonnement.

    Le train arriva en gare. Elle prit de nouveau un taxi et indiqua au chauffeur l’adresse qu’elle avait vu associée au nom de Declan O’Connor. Le taxi s’arrêta dans un quartier situé à la lisière de la ville, juste avant la campagne, devant un minuscule pavillon un peu délabré. A l’entrée, une petite grille rouillée donnait sur un jardinet sauvage. Renée sortit de son sac-à-main le trousseau de clés qu’elle avait trouvé dans le bureau de Bruno. Elle les essaya une par une, avec appréhension, et finalement, la grille s’ouvrit. Puis, après avoir effectué la même opération sur la porte du pavillon, elle pénétra dans une pièce sombre. Elle chercha du doigt l’interrupteur, et lorqu’enfin la pièce fut éclairée, elle observa attentivement, cherchant du regard quelque détail familier.

    Elle n’eut pas à chercher longtemps : sur chaque meuble ou à même le sol se trouvaient quantité de cendriers, tous plus baroques les uns que les autres ( c’étaient parfois de simples boîtes de conserve en fer blanc) et remplis jusqu’à ras-bord de mégots. Certains de ces cendriers ne lui étaient d’ailleurs pas inconnus, pour la bonne et simple raison qu’elle les avait elle-même offerts à Bruno en diverses occasions : Noëls, anniversaires de mariage ou autres petits événements quelconques et anodins qui rythment le temps lancinant d’une vie de famille.

    C’est alors qu’elle prit conscience de l’effroyable odeur de tabac froid qui imprégnait toute la pièce. Cela la rassura un peu. D’ordinaire, c’était elle qui passait son temps à vider les cendriers de Bruno. Ici, visiblement, personne ne l’avait fait.

    Ainsi, il avait bien habité ce pavillon, sous le nom de Declan O’Connor. Avait-il laissé d’autres traces de lui ? Combien de temps avait-il séjourné ici ? Qu’y avait-il fait ?

    Renée se laissa choir sur un vieux canapé élimé. Tout ce qu’elle voyait, les cendriers, l’arrangement des meubles, leur style, tout coïncidait. Ce Declan O’Connor était bien son Bruno, un Bruno qu’elle n’avait jamais vu, mais qui, elle en était certaine, était vraiment le Bruno qu’elle connaissait, inchangé, tel qu’en lui-même. Cette vie secrète ne cachait donc rien. Elle était seulement secrète, voilà tout. Qui n’a jamais eu envie de s’isoler, de se prélasser, seul, en un lieu ignoré de tous ?

    Il ne restait plus maintenant qu’à explorer les autres pièces de la maison. Renée se leva et ouvrit les fenêtres et les volets, puis vida tous les cendriers dans le jardinet (les cendres du tabac consumé, de même que les doutes de Renée, y seraient poétiquement éparpillées par le vent pour se fondre dans l’immensité sans fin du monde). Enfin, elle monta au premier étage avec l’excitation émue d’une mère qui visiterait en cachette la chambre – tout un univers – de son enfant. Elle y trouva une petite chambre avec un grand lit défait – cette manie de Bruno de semer partout le désordre ! – une table de chevet et quelques cendriers pleins. Aucune trace de présence féminine. Elle en fut vraiment soulagée car les insinuations perfides de Mathilde l’avaient, malgré tout, perturbée. Elle se laissa tomber mollement sur le lit et huma l’

 

***

 

rien dire. Je continuai à lui poser des questions, toujours en vain. Je me demandai même s’il n’était pas muet. Le pauvre petit était vêtu de haillons. Il m’observait craintivement. Je lui dis de ne pas bouger et allai lui chercher un verre de lait (c’est tout ce que j’avais à lui offrir), mais, quand je revins, il avait disparu. Je me demande bien d’où venait cet enfant. Depuis combien de temps vit-il ainsi, dans cet état de crasse et de misère. Pourquoi ne parle-t-il pas ?

– Le 13 mai.

    L’enfant n’est pas revenu. Cette histoire m’intrigue mais il me faut rentrer dès ce soir. Peut-être pourrai-je tirer tout cela au clair lorsque je reviendrai ici. Je ne sais pas quand, d’ailleurs. Il me faut encore être prudent. Je ne voudrais pas que cet endroit soit découvert. Pas encore...

– Le 30 juin.

    Je n’ai que quelques heures devant moi. J’aurais aimé passer plus de temps ici, mais j’ai encore beaucoup à faire, tant de choses à préparer. Je pense que je ne pourrai pas revenir avant le mois d’octobre".

 

    Suivaient quelques pages blanches, recouvertes ça et là de petits gribouillis, et de quelques citations et bouts de phrases incompréhensibles, tels que : " quand seras-tu, mon âme, simple et nue ? ", " le robinet fuit ", " toutes les questions raffinées et subtiles sur l’identité personnelle ne peuvent sans doute être tranchées et doivent être regardées comme des difficultés grammaticales plutôt que comme des difficultés philosophiques ", " poète et non honnête homme ", " des rebonds, toujours des rebonds ", " des Rimbauds, toujours des Rimbauds "...

    Renée reconnaissait bien là le désordre brouillon de Bruno. Il avait toujours eu la manie d’écrire tout et n’importe quoi sur des petits bouts de papier. Ces carnets en étaient vraiment l’illustration, d’autant plus qu’ils ne révélaient apparemment rien sur ses motivations. Plus Renée avançait dans sa lecture, plus la situation lui paraissait confuse. Seules quelques petites anecdotes coïncidaient avec ses souvenirs, notamment des week-ends durant lesquels Bruno s’était absenté, prétendument pour chercher un ouvrage rare dans une bibliothèque méconnue et éloignée. Il était impossible, cependant, de reconstituer tout à fait la vie secrète de Bruno. Mais, à vrai dire, cela lui importait peu. Elle désirait seulement plonger au cœur du mystère, non l’élucider. Elle ressentait comme un

 

***

 

dit-elle. Mais l’enfant ne bougea pas. Il brandissait le grand couteau de manière toujours aussi menaçante.

– Je t’en prie, pose ça, tu vois bien que tu n’as rien à craindre de moi, mon petit, sois

 

***

 

au fond de la grotte l’avait bouleversée. Tous ces petits trésors dérisoires amassés par cet enfant sauvage étaient le reflet de sa personnalité confuse.

    Mais ce qui la troublait le plus, c’était bien sûr cette phrase écrite à la peinture rouge sur un mur de la grotte. Depuis le début, elle avait cru que Bruno était parti à jamais, en prenant bien soin d’effacer ses traces. Elle comprenait à présent qu’au contraire, il avait ostensiblement laissé derrière lui certains indices. Mais pour qui ? A qui cette phrase était-elle adressée ? A elle-même ? Se pouvait-il que Bruno eût prévu qu’elle découvrirait le pavillon et les carnets ? Si c’était le cas, quel était donc son but, où voulait-il la mener ?

 

 

 

 

CHAPITRE IX

 

    De retour au pavillon, Renée parcourut encore une fois les carnets de Bruno, à la recherche d’une phrase qui aurait pu lui échapper, de quelque chose qui pût la mettre sur la voie. Elle ne pouvait écarter cette idée : Bruno la manipulait. Rien de ce qu’il avait fait n’était innocent. En un sens, elle s’en réjouissait, car cela signifiait qu’elle faisait partie de ses projets. Mais tout cela trahissait un tel machiavélisme ! Se pouvait-il vraiment que le paisible Bruno, homme si désordonné, fût si calculateur ? A moins qu’il n’ait agi par amour ? Qu’il n’ait pas pu se résoudre à partir, à l’abandonner, sans lui avoir fait partager un peu de sa vie de Declan O’Connor ?

    A présent, Renée se rendait compte qu’elle n’avait peut-être jamais aimé Bruno, du moins au sens romantique du terme. Il n’y avait jamais rien eu de passionnel, rien de démesuré dans son amour pour lui. Il avait seulement été son mari, le père de sa fille, l’homme avec lequel elle vivait, qu’elle admirait et dont elle était aussi un peu la mère. Allait-elle tomber follement amoureuse de Declan O’Connor ? Peut-on encore tomber amoureuse à quarante-six ans ? L’amour n’est-il pas un ridicule petit symptôme de l’immaturité ?

    Renée s’était toujours imaginée vieillissant paisiblement auprès de Bruno. D’ailleurs, ils avaient de tout temps constitué, d’une certaine manière, un " vieux couple ". Elle se voyait désormais courant le restant de sa vie après un fantôme, tandis que ses cheveux deviendraient blancs (certains l’étaient déjà) et que les rides creuseraient de plus en plus profondément son visage. Non, elle n’avait jamais rêvé d’une telle vie ! A l’automne de son existence, elle ne pouvait concevoir d’en passer tout l’hiver dans la solitude et l’errance. Mais avait-elle le choix ? Bruno, de toute façon, l’avait quittée. Il ne lui restait plus que Mathilde.

    Dans certains pays, songea-t-elle, les gens font des enfants pour assurer leurs vieux jours. C’est une forme d’assurance-vieillesse, de cotisation pour la retraite. Un jour, les parents sont à la charge des enfants qu’ils ont élevés et qui s’acquittent ainsi d’une vieille dette...

    Cette perspective lui paraissait un peu répugnante. Ma fille ne m’appartient pas, ni mon petit-fils, ni ce bébé qui attend de naître, se dit-elle. Elle ne me doit rien et je ne lui dois rien. Lui donner naissance, c’était en faire une étrangère, la rejeter au loin, comme on lance une bouteille à la mer. Qu’elle vogue où bon lui semble.

    Tout en se faisant ces réflexions, Renée tournait machinalement les pages d’un des carnets de Bruno. Soudain, elle eut comme une révélation : quelque chose avait frappé son esprit. Elle revint quelques pages en arrière et lut ceci :

    "La plupart des gens vivent en état de mobilité minimale, suivant un mouvement qui décroît constamment jusqu’à l’inertie finale. Or, la vie est mouvement. C’est pourquoi je conçois ma vie antérieure comme l’expression d’une tension. Oui, j’ai vécu en dormant sur une catapulte. Le moment approche, à présent, où Declan sera lancé à travers le monde. Il ne fera que passer et son mouvement ne s’arrêtera qu’à l’heure de l’écrasement, après qu’il se sera laissé rebondir au gré de son élan".

    Renée referma le carnet et réfléchit à ce qu’elle venait de lire. Etait-ce là l’explication du comportement de Bruno ? Elle en était presque certaine ; mais en quoi était-elle impliquée dans ce projet ?

    Le lendemain, elle décida d’aller faire un tour en ville. Puisque Bruno avait souvent séjourné dans le petit pavillon, quelqu’un devait bien l’avoir vu. En se renseignant discrètement, elle finirait peut-être par apprendre quelque chose.

    Elle se rendit donc à pied au centre-ville. C’était une petite bourgade provinciale comme il en existe beaucoup, avec son église, son château, sa mairie, ses petits commerces et, à la périphérie, les supermarchés et petites industries qui sont le lot de la modernité.

    Les jours suivants, elle renouvela l’opération, sans oublier de saluer au passage les habitants de la rue où se trouvait le pavillon. Elle devait procéder en douceur (de toute façon, elle n’était pas pressée). Les gens sont curieux : tôt ou tard, on lui poserait des questions ; il serait facile, alors, d’en poser à son tour. Elle se ferait passer pour une lointaine parente du précédent occupant du pavillon, et prétendrait s’être fait prêter la maison pendant l’absence de celui-ci. Ainsi, elle pourrait faire semblant de ne le connaître que très vaguement et poser des questions à son sujet sans éveiller les soupçons.

    Au bout de trois semaines

 

***

 

vraiment que je sois aussi stupide ? Allons, allons, chère madame O’Connor (puisque c’est ainsi que vous vous faîtes appeler), je ne suis pas né de la dernière pluie. Cessez de me raconter n’importe quoi. Je suis certain que vous êtes mêlée à cette affaire. Il serait plus simple pour vous de me dire tout de suite où se trouve l’argent.

    Une lueur de brutalité jouait toujours dans son regard. Il s’approcha encore un peu plus de Renée et lui posa une main de géant sur l’épaule.

– Je pourrais me montrer très persuasif, dit-il. Je connais certains moyens... disons : efficaces...

Il la serrait très fort, à présent, et commençait à lui faire mal.

– D’accord, dit alors Renée. Je vais vous le dire. Mais lâchez-moi, voulez-vous.

– Bien, bien. J’aime mieux ça, fit-il. Et il relâcha son emprise. Alors ?

– Voilà : c’est une grotte, dans la campagne, tout près d’ici.

– Vous voyez, quand vous voulez être gentille... Maintenant, vous allez m’accompagner, pour m’indiquer le chemin, et si vous êtes bien raisonnable, tout se passera très bien. Sinon... (il se passa un doigt sur la gorge en émettant un " couic ! " évocateur).

– Si vous me touchez, je ne vous dirai plus rien, dit Renée, d’un air qui se voulait menaçant.

– Oh ! Oh ! Petite madame ! Si on ne peut plus plaisanter !

    Il se mit à sourire et brusquement, la plaqua violemment contre le mur. Puis il chuchota méchamment : " je crois que vous n’êtes pas en position de négocier, alors ne vous montrez pas trop insolente, je vous prie ". Il fit jouer un moment le reflet dans la pénombre de la lame d’un couteau à cran d’arrêt qu’il semblait avoir fait surgir de nulle part. Puis il recula en refermant le couteau et dit : " maintenant, allons-y ".

    "C’est ici " dit Renée lorsqu’ils arrivèrent devant la grotte. L’entrée obscure était dissimulée par des buissons épais, mais Renée connaissait un passage à travers les branchages, le passage que lui avait dévoilé l’enfant sauvage. Elle guida Constanza qui se mit à regarder avec méfiance autour de lui, à la lueur de son briquet.

– Et maintenant ? demanda-t-il. Il faut encore aller jusqu’au fond de la grotte, répondit Renée. L’argent est là-bas.

– Bien, je vous suis.

    Ils marchèrent alors un court moment avant d’arriver à un cul-de-sac.

– Qu’est-ce que c’est que tout ce bazar ? demanda Constanza à la vue des sièges de voiture, des marchandises, des chandeliers, des statuettes et des crucifix. Je vous ai posé une question, insista-t-il avec un peu de nervosité dans la voix.

    Mais Renée restait muette. Elle avait perçu un mouvement dans la pénombre, derrière Constanza. Elle recula subitement et se réfugia derrière un siège d’autobus, puis, au moment où l’homme s’avançait vers elle avec une mine menaçante, elle cria : " tue-le ! tue-le ! "

    Constanza se retourna juste à temps pour esquiver une petite silhouette qui lui tombait dessus. Dans la mêlée qui suivit, il perdit son briquet et Renée ne distingua plus que la lueur de deux lames. Le combat dura peut-être quelques minutes durant lesquelles

 

***

 

jamais. C’est pourquoi

 

***

 

avec Constanza dans la nature.

    Elle s’assura que tous les volets étaient fermés et la porte close. Elle ne savait combien de temps elle pourrait tenir ainsi, cloîtrée. Mais elle n’avait plus le choix. Constanza, s’il était encore en état de mener une poursuite, ne penserait certainement pas à la chercher dans un endroit aussi évident, surtout après qu’elle eut simulé de façon aussi bruyante un départ précipité. Si Constanza revenait, il aurait rapidement vent du scandale qu’elle venait de provoquer.

    Mais elle était loin, pour autant, d’être rassurée. Le seul souvenir du visage de cet homme la terrorisait encore. Du moins, pour pénible qu’eût été cette histoire, elle en avait appris beaucoup sur Declan O’Connor, notamment sur la façon dont il avait financé son départ.

    Soudain, des petits bruits sourds retentirent : deux coups rapides suivis de trois autres plus espacés, frappés sur le bois de la petite porte de la cuisine qui donnait sur un chemin de terre derrière la maison. C’était le signe convenu. Renée déverrouilla la porte et fit entrer rapidement l’enfant. Celui-ci lui fit comprendre par signes que Constanza était introuvable. S’était-il enfui ? Avait-il renoncé ? Mais elle ne put s’interroger plus longtemps : une voiture venait de s’arrêter devant le pavillon et déjà, des bruits de pas s’approchaient de la grille. Bientôt, celle-ci s’ouvrit, puis la porte d’entrée du pavillon. Quelqu’un d’autre en avait donc les clefs ! Elle entendit alors une toux familière, la toux d’un homme aux poumons encrassés par le tabac. Elle faillit pousser un cri, mais l’enfant sauvage lui mit un doigt devant les lèvres et lui fit signe de ne pas bouger.

    C’était lui. Il était là, tout près, mais elle ne pouvait pas le voir, car la porte donnant sur l’autre pièce était fermée. Declan ! Il fallait qu’elle le voie. Enfin, elle l’avait retrouvé. Peut-être la laisserait-il l’accompagner, ou alors, ils resteraient vivre tous les deux dans ce pavillon, loin de tous les importuns. Elle cria : " Bruno ! " et se précipita hors de la cuisine, ralentie par l’enfant qui tentait de la retenir. Mais il n’y avait plus personne. Dans la rue, une voiture venait de démarrer. Elle était déjà loin lorsque Renée fut dehors.

    Declan O’Connor lui avait échappé. Savait-il, en venant, qu’elle serait là ? Avait-il minuté cette rencontre fantôme avec la complicité de l’enfant ? Une immense lassitude l’envahit. Elle revint dans le pavillon et se laissa tomber sur le canapé. Des larmes, enfin, se mirent à couler sur ses joues, sous le regard attentif de l’enfant sauvage. Par terre, devant le canapé, se trouvait une mallette ouverte, remplie de liasses de billets. " Ma catapulte ! " songea Renée avec dépit.

    Oui, avant de disparaître, Declan avait voulu qu’elle aussi soit lancée comme un projectile à travers le monde. Elle se souvint d’une phrase qu’elle avait lue dans les carnets de Declan : "Et leurs chemins se croisèrent et chacun, en cet instant de bonheur, prit appui sur l’autre pour s’élancer au loin".

    Qu’allait-elle faire à présent ? Devenir elle aussi une sorte de Declan ? Rester où elle était, avec cet enfant sauvage et muet, ou bien rentrer au bercail, retrouver son petit univers : Mathilde, Nicolas, Denis et cet autre petit-enfant qui ne tarderait pas à naître ? Elle envisagea les trois possibilités, l’une après l’autre, sous le regard de l’enfant. Enfin, elle se décida. Le choix, en fin de compte, n’était pas difficile. Elle se leva, arborant une mine résolue, et

 

 

 

 

 

2. Declan O’Connor est un sale type

 

 

 

 

DOC – Alors, mon cher Constanza, que pensez-vous de ce petit festin ?

CON – Je n’avais jamais rien mangé d’aussi bon auparavant. Et j’ignorais tout de vos talents de cuisinier. Quant aux vins, ils étaient merveilleux... mais la tête me tourne un peu, à présent.

DOC – Tant mieux, tant mieux ! J’ai toujours pensé qu’Apollon serait un Dieu bien insignifiant s’il n’était stimulé par Dionysos. Une légère ivresse est plus propice au travail de l’esprit que toute ascèse desséchante. Prendrez-vous un digestif ?

CON – Non, merci. Je n’ai aucun goût pour les alcools forts.

DOC – Ah ! La peste soit des buveurs d’eau ! Constanza, vous me décevez beaucoup, vous savez.

CON – J’en suis désolé. Il me semble pourtant que vous n’avez pas lieu d’être mécontent de moi.

DOC – Non, bien sûr, mais...

CON – Et puisque nous en parlons, j’aimerais bien comprendre à présent le sens de toute cette comédie que vous m’avez fait jouer.

DOC – Quelle comédie ?

CON – Oh ! Cher professeur, ne faîtes-donc pas l’innocent !

DOC – Je fais beaucoup de choses, mon bon Constanza, mais certainement pas l’innocent. Innocence et culpabilité sont, à mon humble avis – et notez que quiconque, y compris votre serviteur, utilise le terme " humble avis ", signifie généralement qu’il fait, précisément, le plus grand cas de cet " avis " qui, loin d’être " humble ", est forcément le meilleur avis qui soit puisqu’il émane de la personne la plus avisée au monde, à savoir celle qui ose donner son " humble avis ", si vous voyez ce que je veux dire... mais je m’égare. Ne croyez surtout pas que je cherche à noyer le poisson, à l’image d’un politicien qui s’efforcerait d’éluder les questions pourtant fort peu embarrassantes d’un journaliste de connivence dont la fonction n’est pas de déranger mais de permettre à la personne qu’il interroge de pratiquer avec le plus grand brio son art de l’esquive. Innocence et culpabilité, donc – j’en reviens à mon propos – sont à mon humble avis, des termes vides de sens. Innocence signifie bien souvent sentiment d’innocence, bonne foi, bonne conscience, auto-satisfaction, étant admis que le cogito est ici notre seule norme. Combien de meurtriers, d’assassins, voire de généraux, sont en effet, aux yeux du monde comme à leurs propres yeux, de parfaits innocents. Qu’entend-t-on généralement par " innocence " ? Pureté, naïveté ou parfois même bêtise... L’innocent n’est pas véritablement celui qui ne commet pas de mauvaises actions (car qui n’en commet pas ?). En réalité, l’innocent est un grand niais qui ignore le mal (j’entends par là le mal effectif, la part parfois désastreuse de la contingence dans tout acte humain). A ce titre, l’innocent est un danger public, un éléphant dans un magasin de porcelaine. Il est, d’une certaine manière, bien plus monstrueux que le pire des pervers. Prenez Hitler : ce qu’a fait cet homme, après tout, n’est pas si terrible. Un petit peintre raté se venge de ses frustrations sur toute l’humanité, asservissant les peuples, mettant le monde à feu et à sang. Jusque là, c’est un phénomène bien courant. Ce qui est véritablement monstrueux dans le nazisme – pardonnez-moi ce lieu commun – c’est la volonté d’exterminer rationnellement, froidement, méthodiquement, une partie de l’humanité. Aucune perversité là-dedans (entendez la perversité selon Edgar Poe : le désir de faire ce que l’on sait ne pas devoir faire). Les camps d’extermination nazis sont au contraire la manifestation d’une incroyable volonté de bien faire, de purifier le genre humain pour le conduire vers l’âge d’or. Si ces camps ont fonctionné dans un relatif secret (combien de gens, pourtant, se doutaient de leur existence !), ce n’est pas parce que les nazis en avaient honte. Ils en étaient sûrement très fiers, au contraire, mais ils devaient penser que le monde n’était pas encore prêt à comprendre, qu’ils passeraient pour de monstreux parvenus tant que la victoire ne leur aurait pas donné raison – eh ! oui, ce n’était là, en somme, que pudeur de nouveaux riches ! Voilà pourquoi l’innocence m’est odieuse. La culpabilité également, d’ailleurs. Peut-être vous ferai-je part un jour de quelques considérations sur le péché originel et autres attrape-nigauds du même tonneau.

CON – Heu... Finalement, je prendrais bien un verre de cognac, si vous le permettez.

DOC – Ah ! vous devenez enfin plus raisonnable !

CON – Sans vouloir vous manquer de respect, j’en ai surtout besoin pour supporter votre logorrhée. Il me semblait pourtant vous avoir posé une question. Dîtes-moi maintenant, s’il vous plaît, sans faux-fuyants, quel rôle j’ai joué dans vos projets, projets qui, aujourd’hui encore, me paraissent bien obscurs. Vous l’avouerai-je ? J’en arrive même à douter de votre santé mentale.

DOC – Oh ! Comme vous me peinez ! Rassurez-vous, je vais répondre. Voyez-vous, mon cher Constanza, vous êtes un comédien talentueux mais malheureusement sous-employé. Quant à moi, j’ai reconnu en vous certains dons et j’ai compris qu’il fallait les mettre à profit. Par ailleurs – dois-je vous le rappeler ? – lorsque je vous pris à mon service, les largesses que je vous prodiguai avaient précisément pour objet d’apaiser votre éventuelle curiosité.

CON – Certes, certes. Loin de moi l’idée de me plaindre. Mais souvenez-vous néanmoins que cet enfant sauvage qui devait me donner la réplique (et dont vous me certifiâtes au préalable qu’il vous était entièrement dévoué), que cet enfant sauvage, donc, m’a laissé au fondement une fort vilaine cicatrice que je me garderai par pudeur de dévoiler devant vous.

DOC – Ah ! je comprends, et j’en suis sincèrement navré. Je veux dire que je déplore cet incident (et non, bien sûr, le fait que vous désiriez en dissimuler la preuve). Il est vrai que cet enfant, pour lequel j’éprouve d’ailleurs une réelle affection, se montre parfois très impulsif, et par là-même incontrôlable. Peut-être aussi prend-t-il trop au sérieux les petits rôles que je lui donne. Mais comment lui en ferais-je grief ? Soyez certain, du moins, que je regrette infiniment de ne pas vous avoir mis en garde avant de vous confronter à lui. Mais le réalisme de la scène que vous deviez jouer nécessitait bien une part d’improvisation.

CON – J’accepte volontiers vos explications, cher professeur. Sachez toutefois qu’il s’en est fallu de peu que je vous en voulusse.

DOC – Quoi ? Vous, Constanza, vous vous laisseriez aller à la rancune ?

CON – Oh ! Ce ne fut qu’une tentation passagère. Vous savez bien que votre bonté sonnante et trébuchante aura toujours raison de mon caractère un tantinet soupe-au-lait.

DOC – Je vois. Et naturellement, vous éprouvez encore au souvenir de votre mésaventure un certain besoin d’apaisement.

CON – Tout juste. Pourquoi vous le celer plus longtemps ?

DOC – Homines pecuniae cupidos !

CON – Sans doute. Le monde est si cruel. Il faut bien vivre. Mais j’y pense : une chose m’intrigue depuis le début de cette histoire, dont je renonce à présent à comprendre tous les tenants et aboutissants. D’où tenez-vous votre considérable fortune (je précise que j’emploie ici ce terme dans son sens le plus bassement matériel) ? Il vous faut en effet bénéficier de grandes ressources pour mener un tel train de vie et festoyer comme vous le faîtes avec moi actuellement, de même que pour vous offrir mes services, trop peu rémunérés à mon goût mais tout de même hors de portée du vulgum pecus. Y avait-il donc une certaine vérité dans le rôle sordide que vous m’avez fait jouer face à cette femme qui se faisait appeler du même nom vous ? Dois-je comprendre qu’il est possible que vous deviez votre aisance financière à quelque pratique crapuleuse et inavouable ?

DOC – Inavouable, en vérité, cela est certain. La preuve en est que je me garderai bien, à ce sujet, de vous faire l’aveu d’une quelconque crapulerie. Je puis néanmoins vous faire une confidence : dans le monde dans lequel nous vivons, il est, contrairement aux idées reçues, beaucoup plus facile de s’enrichir que de demeurer humble. Les gens, en fin de compte, font beaucoup d’effort pour conserver des scrupules qui les empêchent de profiter de la naïveté d’autrui. Au contraire, pour qui se laisse un peu aller, il n’est rien de plus aisé que de cueillir les fruits là où ils poussent. Quant à la manière dont j’ai pu, pour ma part, mettre en application cet axiome, ne vous suffit-il point, mon très cher et curieux ami (et j’insiste volontairement sur le premier de ces deux épithètes), de faire bonne chère et de profiter de ma bonté naturelle à votre égard, sans essayer, ce qui serait bien futile, de forcer la nature ?

CON – Ce dernier point de votre dialectique mérite peut-être contradiction, cher professeur, car vous n’êtes pas sans savoir que le discours rationnel ne progresse que par la résolution des problèmes qui lui sont posés. Mais nous avons encore tout le temps d’approfondir ensemble ce beau sujet dont j’entrevois déjà le fin mot. Pour l’heure, je souhaite avant tout vous faire remarquer que votre mode de vie et certaines de vos actions (dont j’ai bonne connaissance puisque je m’en fis l’humble instrument), me paraissent à maints égards fort éloignés de la paisible existence à laquelle la plupart des hommes de savoir qui sont, après tout, vos collègues, semblent généralement accoutumés. Me trompé-je ?

DOC – Vous m’étonnez, Constanza. Quoi ! Vous qui êtes d’ordinaire si terre à terre et doué d’un incontestable esprit pratique, vous, Constanza, homme peu scrupuleux s’il en fut (et croyez bien que c’est justement ce que j’apprécie en vous), vous vous révéleriez donc tout à coup épris de Vérité ?

CON – Ma foi, peut-être. Tout compte-fait, il n’est pas exclu que je sois, moi aussi, un peu philosophe. Auriez-vous donc profité de notre collaboration pour m’inculquer vos lumières ? Oui, tout s’éclaire à présent. Grâce à vous, je me tourne dès maintenant vers l’amour du Vrai, et j’en perçois nettement les implications. Tout le prix de mon savoir m’est devenu intelligible. Me voici prêt à recevoir sans plus aucune retenue la mâne de la connaissance. Donnez-moi l’infini, ô maître !

DOC – Je constate avec plaisir la vivacité de votre esprit et je suis heureux de lui avoir donné l’occasion de s’exercer. Mais je vous ferai néanmoins remarquer que le savoir est chose dangereuse. Songez-donc à la fin dramatique et belle de Socrate. Vous pâlissez, Constanza ? Comme je vous comprends. Vous êtes arrivé, ce me semble, au terme de votre démarche (permettez-moi de douter tout de même qu’elle fût vraiment spirituelle). Mais la divine Raison (en ce qui vous concerne, je découvre avec stupeur qu’elle puisse se montrer cupide), la divine Raison, donc, trouve toujours son impulsion, son origine et même son aboutissement dans l’irrationnel. Pourquoi prendre cet air crispé, Constanza ? Il est temps pour vous d’accéder réellement à la Vérité, immuable et froide. Certains considèrent qu’elle n’est qu’illusion, d’autres qu’elle n’existe qu’au-delà de l’apparence... mais accordons-nous du moins à dire qu’elle n’est pas de ce monde, de cet Ici-bas tourmenté et trompeur qui n’est pourtant rien d’autre, selon moi, que ce qu’il est, et qui n’a rien à révéler qu’il ne nous ait déjà montré. D’où la nécessité de le quitter si l’on tient vraiment à le dépasser. Ciel, Constanza, vos yeux se révulsent ! Y a-t-il une Vérité après la mort ? C’est ce que je vous souhaite de découvrir, mon ami. Je vous ai épargné la ciguë de Socrate car il n’est pas bon d’utiliser plusieurs fois les mêmes procédés, sous peine d’être condamné à la stagnation et à la routine. Mais il existe de nos jours des poisons bien plus subtils, tel celui que contenait votre cognac. Ne maudissez pas le hasard, toutefois, car eussiez-vous pris un autre alcool que le résultat eût été le même. Je suis en effet, et je m’en flatte, un hôte scrupuleux. J’ai seulement craint un moment de vous voir dédaigner toute boisson forte, ayant négligé, incorrigible buveur que je suis, d’agrémenter comme il le fallait d’autres substances. Mais que vois-je ? Cette lueur dans votre regard... serait-ce de la haine ? Allons, allons, vous oubliez tous vos devoirs d’artiste ! Cessez-donc de vous accrocher vainement à cette nappe qui ne vous a rien fait et sachez quitter la scène avec panache. L’ultime beauté ne s’affirme-t-elle point dans le mourir ? Bien sûr, fussiez-vous encore en état de parler que vous m’objecteriez sans doute qu’il ne revient pas au disciple de boire la coupe mortelle du suprême dévoilement. Quant à moi, je pense au contraire que le bon maître est celui qui sait se faire le modeste et anonyme vecteur de l’élévation d’autrui, et non celui qui veut se constituer en exemple à jamais inaccessible. Finalement, je vous envie, Constanza. A vous le néant (autre nom de la Vérité) et à moi... : quoi ? L’errance, la douleur, la confusion, la dissimulation, l’abjection, le renoncement, oui, le renoncement, car en me catapultant comme je le fais dans la vie, je renonce en fin de compte à la Vie avec sa grotesque majuscule, vous savez, cette petite chose fugace qui n’existe que par son commencement et sa fin, cette petite durée bornée, obsédée par son origine et son terme. Oui, c’est ainsi, me voici lancé, projeté, sans attache, en un mouvement qui n’a plus ni cause ni fin. Illusion ? Certainement, mais peu m’importe puisque rien ne m’importe. Rideau.

CON – Bravo, vraiment bravo ! Quel brio ! Quel acteur vous pourriez faire !

DOC – Croyez-vous ? Cela n’était pourtant rien en comparaison de votre " mort ". Mon rôle comportait plus de texte, voilà tout. Mais dîtes-moi, cette petite comédie vous a-t-elle appris quelque chose ?

CON – Euh... eh bien, oui, sûrement ! Du moins, il faut que je digère un peu la leçon.

DOC – Vous êtes irrécupérable.

CON – Ah ?

DOC – Oui.

CON – Expliquez-vous.

DOC – Non.

CON – Je vous en prie.

DOC – N’insistez pas. Il se fait tard et je dois partir. Il me reste à vous souhaiter... je ne sais pas. Toujours est-il que je vous remercie pour tout, pour ce repas, pour votre aide et pour les petites improvisations farfelues auxquelles complaisamment vous vous prêtates (quoique vous n’y comprissiez que pouic). Il m’a été très agréable de jouer en votre compagnie et... Ah ! Je crois qu’il est l’heure. Mon taxi doit m’attendre.

CON – Mais... mais, vous ne pouvez pas partir comme cela, me laisser...

DOC – Oh ! si, bien sûr. Je n’ai rien contre vous, après tout, surtout quand vous m’êtes de quelque utilité. Mais, à présent que je n’ai plus besoin de vos services, pourquoi m’encombrerais-je de votre admiration béate et de votre grossière naïveté ?

CON – Alors vous ne vous intéressiez qu’à mon argent, vous aussi. Vous êtes ignoble !

DOC – Et pourquoi en serait-il autrement ? J’avais besoin, pour mener à bien mes projets, d’un bailleur de fond. Vous étiez là, jeune héritier désœuvré se cherchant un mentor. Je n’avais pas l’intention de vous faire de mal, seulement de vous utiliser, vous et votre argent ; mais vous vous êtes obstiné dans vos chimères. Je croyais que ce petit jeu, durant le repas, vous aurait éclairé un peu sans trop vous blesser. Mais vous n’avez rien compris. Souffrez si vous le désirez, mais par pitié, souffrez en silence. Car après tout, si vous vous sentez berné, vous ne le devez qu’à vous-même.

CON – Vous êtes vraiment ignoble... Ou alors, vous me jouez encore un tour ? Oui, c’est cela. C’est encore une de vos facéties.

DOC – Ah non ! Je préfère encore être ignoble. Du moins l’ai-je sûrement été, et non sans plaisir. Mais cela suffit. Je suis las de ces petits jeux didactiques. Je pars, à présent. Constanza, je ne vous dis pas au revoir.

 

    Laetitia referma le manuscrit, songeuse.

    "Alors ? Qu’en penses-tu ? " lui demanda Bruno.

    Elle ne répondit pas. Qu’aurait-elle bien pu dire ? Mais Bruno renouvela sa question en la regardant gravement. Après tout, pourquoi hésiter ? Au nom de quoi devrait-elle le ménager ?

– Pour être franche, déclara-t-elle, je n’ai rien compris. C’est incohérent et confus, verbeux. Je ne vois pas où tu veux en venir en écrivant cela.

    Bruno ne fut pas étonné par cette réponse.

– Donc, tu n’as rien compris ?

– Ou trop compris, répondit-elle. Que comptes-tu faire d’un texte aussi inepte ? La façon honteuse dont tu as manipulé ce pauvre Constanza (t’ai-je dit qu’il s’était suicidé ?) m’écœure parce que je connais les événements que tu évoques. Mais je ne vois pas qui pourrait être intéressé par tes petites bassesses. A part ta femme, peut-être ? J’aurais eu beaucoup de choses à lui raconter, à celle-là, mais il paraît qu’elle a disparu. Encore une de tes machinations, sans doute ?. De toute façon, je m’en...

    Laetitia fut interrompue par un éclat de rire. Entre deux hoquets, Bruno déclara :

    "Ah ! ma chérie, que tu es belle lorsque tu me détestes. C’est d’ailleurs pour cela peut-être que j’aime me montrer ignoble depuis que je te connais. Ne te sens-tu pas coupable de mes actes ? Tu sais, ta petite frimousse indignée me manquera vraiment. Oui, tu as bien entendu, je m’en vais. Declan O’Connor m’appelle à lui. Le petit dialogue que tu viens de lire était juste destiné à m’offrir une dernière fois le spectacle de ton indignation ".

    Sur ce, Declan O’Connor part pour on ne sait où. Derrière lui, il laisse les larmes et la colère à ceux qui s’y vautrent complaisamment. Libres aux juges qui demeurent en chacun de nous de le condamner. Il est probable, de toute façon, qu’il n’agit pas uniquement pour nous provoquer. Ses motivations sont sans doute plus obscures. Toujours est-il, cependant, qu’il prend beaucoup de plaisir à mettre en branle les stériles mécanismes du jugement humain. Oui, Declan O’Connor, à sa manière, est un esthète. Et un sale type.

 

 

 

 

 

3. Declan O’Connor, particule métaphorique

 

 

 

 

    Voilà. Cette fois, Declan O’Connor est bel et bien propulsé à travers le vaste monde. Et sa célérité est d’autant plus importante qu’il est resté inerte – non, pas inerte : tendu – durant la plus grande partie de sa vie. Mais ce serait une grave erreur que d’assimiler son mouvement à une sorte de voyage ; parcours initiatique, fuite ou recherche de soi, quête métaphysique, libération, enlisement... actes vains mus par l’attraction-répulsion qu’exerce la " lourde légèreté " de l’existence sur l’esprit humain. D’ailleurs, l’esprit n’a rien à voir avec cette particule accélérée nommée Declan O’Connor. C’est pourquoi il serait fort dérisoire de tenter de juger ses petites ignominies. Elles ne sont après tout que l’expression d’une violence faite à l’inertie. La pomme d’Adam et Eve, le fratricide de Caïn, tous ces mythes parlent de cette violence fondatrice du mouvement que d’aucuns appelleront Histoire pour lui donner de la valeur. En la matière, Bien et Mal ne sont finalement que l’expression d’un souci esthétique : la dualité (Bien / Mal, Beau / Laid) vient pimenter la triste fadeur de la matière. La mythologie nordique, par exemple, a bien compris la nature essentiellement esthétique du couple Bien / Mal. Loki, dieu du mal, du mensonge et de la trahison en est le personnage central, artisan indispensable du destin sans cesse recommencé des dieux. Grâce à ses forfaits, une déesse se voit affublée de cheveux d’or, ce qui peut paraître très seyant, tandis qu’un dieu scandaleusement beau et honteusement invulnérable est fort justement occis, bien fait pour lui. Mieux encore : Loki est le principal instrument de la destruction finale des dieux, prélude à une nouvelle ère. Le Bien et le Mal, liés en la personne de l’ambivalent Loki, sont donc les amorces de la destruction et du renouveau, de l’explosion qui déclenche le bouillonnement incessant de la matière et le mouvement de Declan O’Connor. Le raccourci est osé, mais il symbolise bien ce qui ne peut être dit plus explicitement. Rebonds, heurts, bontés, crimes, péripéties, banalités : Declan, particule folle, bouscule et propulse d’autres particules. En cela, ordre, néant, inertie, éternité et compagnie ne représentent plus que des instants absolus de ce mouvement, comparables à des clichés photographiques. Pour mieux comprendre ce phénomène, observons quelques photos ou bouts de films pris sur le passage de la particule Declan :

1 – Un homme (ou une femme) se tient au bord du quai du métro (ou du train). Qu’a-t-il en tête ? Songe-t-il à se suicider ? Hésite-t-il ? Il se penche dangereusement au-dessus de la voie. Est-il pris d’un malaise, d’un vertige ? Se fait-il tout simplement peur ou bien tente-il d’observer quelque chose : un portefeuille tombé entre les rails, un rat qui passe ou une photo arrachée à une revue porno ? Il est en équilibre. Quelqu’un va-t-il se précipiter pour le retenir, l’empêcher de tomber ? Trop tard : au moment où la rame arrive en gare, Declan O’Connor surgit, à pleine vitesse, et rebondit sur l’homme pour se propulser vers d’autres aventures. Durant quelques heures, la circulation sera bloquée tandis que les services sanitaires débarrasseront la station des bouts de viande humaine venus se coller sur les parois et du sang poisseux répandu sur la voie. A cause de cet événement, un autre homme qui, celui-là, aurait peut-être pu, s’il avait vécu, devenir président de la République et déclarer la guerre à trois ou quatre pays, sera contraint de prendre un taxi qui ira s’aplatir contre un platane en essayant d’éviter un aveugle qui traversait la rue sans regarder, forcément sans regarder (peut-être poussé là lui aussi par Declan O’Connor, qui sait ?).

2 – Sur une photographie en noir et blanc, on voit Declan O’Connor assis sur un banc à côté d’un clochard. Ils semblent discuter comme de vieux amis. Declan tient un paquet de cigarettes brunes sans filtre dans lequel deux doigts noirs de crasse piochent sans vergogne. Le sourire du clochard donne une vague idée du bonheur.

3 – Voici à présent ce qu’on peut véritablement appeler un instantané : du ciel bleu, quelques nuages, et, au milieu de ce décor, Declan O’Connor, seul dans le vide. Il ne s’agit plus véritablement d’une scène, d’un moment d’une histoire que l’on peut extrapoler. L’absurdité du cliché (réalisé sans trucage) semble défier l’imagination. Instant isolé, coupé de la linéarité du temps et du mouvement : c’est presque un morceau de néant. Pourtant, il est impossible de saisir ce néant éternel que constituerait l’instant figé, détaché totalement du mouvement dont il n’est qu’une étape inconsistante. En réalité, l’image immobile de Declan O’Connor perdu au sein des nuages, pour irréelle qu’elle paraisse, se rattache bel et bien à une histoire, à l’histoire du mouvement de la particule Declan. Un jour, en effet, celui-ci sera, pour des raisons inconnues (peut-être à la suite d’un rebond très violent) propulsé dans les airs. Certes, les trajectoires de la particule Declan peuvent sembler défier les lois les plus élémentaires de la physique, mais au nom de quoi une métaphore devrait-elle s’astreindre à respecter de telles lois ?

4 – Restent de nombreux clichés pris à des moments variés. Il n’est pas temps encore de les détailler. L’important est qu’un homme, d’abord fortuitement puis au cours de longues recherches, sera bientôt amené à les contempler ; et sa vie en sera à jamais bouleversée.

 

    Il convient à présent d’apporter une dernière précision avant de clore ce chapitre. Un fait est établi : un personnage prénommé Bruno, marié, père de famille, la soixantaine bien conservée, a décidé un jour de devenir la particule Declan O’Connor. Par de minutieuses et tortueuses machinations, il s’est transformé en projectile symbolique. Dès lors se pose l’éternel problème de l’origine : pourquoi ? quand ? comment ?... et autres questions qui toujours dissimulent la même interrogation ontologique, la même angoisse métaphysique. Si un certain Bruno a catapulté Declan O’Connor, cette particule ballottée de rebonds en rebonds qui, en heurtant d’autres particules, provoque des réactions en chaîne, bouillonnement incessant de la matière humaine, alors, c’est que Bruno est la Volonté qui a déclenché le mouvement. Ce qui est absurde : les hommes ont toujours rebondi les uns sur les autres et avant eux, les atomes et les astres, sans avoir besoin de Bruno. La Volonté ou impulsion originelle a reçu beaucoup de noms : Dieu, Allah, Yahvé, Noùs, Grand Horloger et tutti quanti, mais jamais personne ne l’a nommée Bruno. C’est bien compréhensible, d’ailleurs, car la décision de Bruno n’est pas venue ex nihilo mais fut le résultat d’un concours de circonstances et de la bousculade générale au sein de laquelle il a toujours vécu, même s’il se croyait inerte. Imaginons par exemple, ironie du sort, que l’homme que Declan O’Connor a jeté sous le métro ait un jour eu, de son vivant, une discussion avec Bruno, au cours d’une hasardeuse rencontre de bistro. Il lui aurait alors exposé, entre deux verres, des théories fumeuses sur la nécessité de se laisser emporter sans résistance de troquet en troquet par le flot tumultueux de la vie et de ne pas rester cramponné durant toute son existence au même comptoir. Des années plus tard, nous retrouvons le même homme, peut-être conduit au désespoir par des problèmes sentimentaux et par l’abus de spiritueux. Il se tient au bord d’un quai de métro et nous connaissons la suite. Ce n’est qu’une hypothèse. Il est dès lors concevable que ce soit justement l’idée de s’abandonner au flux incessant des bars qui ait présidé dans l’esprit un peu imbibé de Bruno à la naissance de Declan O’Connor. Le problème de l’origine est donc un faux problème. Qui se laisse, au gré de l’enchaînement fortuit des causes et des effets, rebondir de zinc en zinc, doit comprendre qu’il n’y a pas d’origine. Le vaste monde qui contient en lui-même une quasi-infinité de troquets qui naissent, disparaissent et changent de propriétaires, ce monde qui recèle aussi une infinité de consommateurs errants et perpétuellement renouvelés, eux-mêmes lointains descendants d’atomes, fidèles piliers de bars à neutrons, ce monde ne peut qu’être à lui-même sa propre origine, renvoyant ainsi la Volonté originelle, la Grande Impulsion, le Verbe, Jéovah, le Big Bang, la Cacahuète Sacrée et autres monstruosités à majuscule au rayon des bibelots colorés qui font joli sur les étagères poussiéreuses de l’hypertrophie du bulbe qu’est l’esprit humain.

    Telle est la leçon de Declan O’Connor, particule métaphorique.

 

 

 

 

 

 

4. L’homme qui avait vu Declan O’Connor

 

 

 

 

    Il s’appelait Samuel Apfelstein, mais tout le monde l’appelait Sammy. Ex-soixante-huitard virulent, il s’était recyclé tout naturellement durant les années soixante-dix dans le grand journalisme politique et signait des articles de référence dans un quotidien de centre-gauche ex-gauchiste. Fier de cette reconnaissance sociale qu’il considérait presque comme une juste récompense, et, en tout cas, comme une conséquence logique de son engagement de jeunesse, il n’en conservait pas moins une secrète nostalgie de ce temps révolu de révolte et de spontanéité. Avait-il obscurément mauvaise conscience ? Etait-il tenaillé par une sensation inavouée de reniement ? Nul ne saurait le dire, et surtout pas lui, qui aimait à penser que son travail dans un grand quotidien de référence et son passé pro-"situ ", loin d’être contradictoires, étaient la marque de la même incontestable excellence à des époques différentes. Néanmoins, cette bonne conscience affichée, à la limite de l’arrogance, ne dissimulait-elle pas une faille intime ? C’est bien précisément le diagnostic que fit son entourage, durant l’étrange crise que traversa Sammy à une époque où tout semblait pourtant lui sourire.

    L’affaire se déclencha un jour qu’il relisait un de ses vieux articles paru dans le journal de centre-gauche dont il a déjà été question. Il faut préciser que Sammy n’est jamais qu’un humain, c’est-à-dire un animal convaincu qu’il n’en est plus un sous prétexte que son milieu naturel (mammouths, gnous, volcans stromboliens et stupides mammifères velus et dentus) l’a contraint progressivement à accroître plus que de raison ses activités cérébrale et manuelle, cette dernière précédant probablement la première. Sammy, donc, n’est qu’un humain, c’est-à-dire un être faible et retors prêt à toutes les bassesses, y compris l’intelligence, pour satisfaire son ego torturé par – c’est un cercle vicieux – un trop-plein inutilisé d’intelligence et de conscience de soi (étant admis que seuls sont beati les pauperes spiritu). C’est pourquoi il a pris l’habitude de relire régulièrement ses anciens articles dans de vieux numéros du quotidien de centre-gauche autrefois gauchiste dont il a été et sera encore question. Quelle émotion que de contempler après plusieurs années l’être en tout point admirable qu’il fut jadis et chez lequel se profilait déjà l’homme talentueux et visionnaire qui serait reconnu comme tel a posteriori ! Et quel prestige que de retrouver sa propre prose dans un journal à grand tirage, incontestable vecteur de l’opinion publique et de l’air du temps ! Attitude tout à fait humaine, et qu’il ne nous appartient pas de juger ici, même si elle est abjecte.

    Sammy, donc, fut soudain saisi par une incroyable vision. Le journal qu’il tenait à la main contenait, à côté de son éblouissant article, une photographie des plus étranges. Il y avait eu, à l’époque de ce numéro, une révolution avortée dans un grand pays d’Asie. Le reporter qui avait couvert l’événement pour le grand quotidien apolitique autrefois de gauche dont il a déjà été question, avait eu l’heureuse idée d’envoyer une photo-choc qui avait fait le tour du monde. A côté de cette célébrissime image qui symbolisait en un seul cliché la lutte du courage et de l’innocence pacifiques contre l’oppression et le totalitarisme, le journal avait publié une seconde photographie, plus anodine. On y pouvait distinguer une foule aux yeux bridés faisant le signe de la démocratie (c’est du moins ce qu’annonçait la légende, car contrairement au poing levé ou au bras tendu, le signe de ralliement de la démocratie demeure assez indéterminé). Au sein de cette foule se tenait, discret mais visible, un homme blanc, petit, rondouillard, assez âgé, à la mine joviale. Le lecteur perspicace l’aura certainement deviné, l’homme en question n’était autre, bien sûr, que Declan O’Connor, qu’une série de rebonds aléatoires avait conduit en ce lieu incongru. Inutile de dire (mais disons-le tout de même) que Sammy fut fort intrigué. Sa curiosité de grand professionnel du journalisme en fut tout émoustillée et il se promit d’élucider ce mystère (de doux mots lui traversaient déjà l’esprit, comme : " agent provocateur ", " espion ", " CIA ", " complot ", " KGB ", " Mossad ", " DGSE "...). Mais il n’eut pas dans l’immédiat le loisir de faire de réelles recherches et l’affaire faillit bien en rester là. Il fallut, encore une fois, que le hasard s’en mêlât.

    Quelques mois plus tard, en effet, Sammy, qui s’adonnait encore au même plaisir solitaire (je veux parler de la contemplation émue de son ego boursouflé dans le miroir de sa prose), fut pris soudain d’un réel malaise. Il venait d’apercevoir sur une photo prise lors d’une émeute dans une capitale africaine le visage jovial que nous savons être celui de Declan O’Connor. Pour la deuxième fois, Sammy décelait la présence déplacée de ce personnage. Ce ne serait naturellement pas la dernière. Le même phénomène se reproduisit en effet de plus en plus fréquemment. Il vit à nouveau la ronde silhouette de Declan à plusieurs reprises, sur des photos, sur des affiches publicitaires, et même à la télévision, dans des reportages ou sur le plateau d’une émission tournée en public. Dès lors, Declan O’Connor devint réellement omniprésent dans sa vie.

    Un jour même, alors qu’il venait de donner du feu à un passant dans la rue, il fut pris de vertige en se remémorant le visage de l’homme auquel il n’avait pas prêté attention de prime abord. Lorsqu’il se retourna, hagard, le passant était passé et avait disparu.

    Sammy devenait-il fou ? Pas vraiment. Les quelques amis auxquels il présenta les preuves photographiques qu’il avait commencé à recueillir s’accordèrent à dire : " Ah oui ? Tiens, c’est vrai. C’est peut-être le même bonhomme. Quoique. On ne distingue pas très bien le visage ". Oui, personne n’attachait d’importance à Declan O’Connor. Sammy aurait peut-être dû se sentir seul au monde et perdre le sens de la réalité. Il n’en fut rien. Certes, il connut une période de déprime inexplicable pour son entourage et demeura intimement persuadé que le même péquin se baladait impunément et invraisemblablement sur la surface du globe et peut-être même au-delà (il l’aperçut en effet, un jour, à travers le hublot d’un avion de ligne, flottant benoîtement dans les airs) mais cette idée, après tout, ne le dérangeait plus. Peu lui importait, finalement, de voir toujours le même zigue n’importe où et n’importe quand. Il s’y habitua et cela ne l’empêcha pas de poursuivre avec la plus grande satisfaction sa carrière de journaliste au grand quotidien de centre-droit dont il ne sera plus question ici. Peut-être de temps à autre, à la fin morose de quelque soirée bien arrosée, se laissait-il aller à parler de celui que nous savons être Declan O’Connor. Mais c’est tout. Car il est tout à fait possible à quelqu’un qui voit Declan O’Connor partout de continuer à mener une vie normale.

 

 

 

 

 

 

5. Le yo-yo de Sisyphe

 

 

 

 

    " N’ai-je rien oublié ? Ah ! si. LA lettre ! "

    Celle-ci était restée sur le secrétaire. Christine la mit dans la poche de sa veste et sortit après avoir fermé la porte à double-tour, ce qu’elle n’oubliait jamais de faire. " Tellement de gens négligents se font cambrioler bêtement !", se répétait-elle fréquemment.

    Elle se rendit au bureau de tabac le plus proche et y acheta un timbre qu’elle colla consciencieusement sur l’enveloppe. Puis, devant la boîte aux lettres, elle vérifia qu’elle avait correctement écrit l’adresse. Elle aurait presque voulu décacheter l’enveloppe pour être sûre de n’avoir rien oublié dans ses recommandations à Sébastien. L’idée de laisser son fils en colonie de vacances, livré à lui-même au milieu des autres enfants et d’adultes inconnus, l’inquiétait un peu. Après tout, Sébastien n’avait que six ans et demi. " C’est encore presque un bébé ", se disait-elle souvent, alors qu’en réalité, Sébastien n’était déjà presque plus un bébé. Christine avait bien dû se ranger à l’avis de ses amies. " Elles ont raison. Il n’est pas bon qu’un petit enfant ne voie personne d’autre que sa maman ". Assurément, elle assumait très bien son rôle de mère célibataire, mais elle se disait tout de même parfois qu’il est difficile de tout faire toute seule.

    Au moment de glisser l’enveloppe dans la boîte aux lettres, elle hésita et vérifia une dernière fois qu’elle ne se trompait pas de fente (il y en avait deux : l’une réservée au courrier à destination de Paris, Ile-de-France et étranger, et l’autre réservée au courrier à destination de la province). " Des tas de lettres tardent à arriver ou se perdent parce qu’on les a glissées au mauvais endroit ", songea-t-elle.

    Puis elle prit le métro après avoir regardé sur son coupon mensuel si elle y avait bien inscrit son numéro de carte orange. " Ce serait trop bête de devoir payer une amende à cause d’un oubli idiot ".

    Elle choisit une place assise, " dans le sens de la marche ", et se mit à consulter son agenda, tout en jetant régulièrement un coup d’œil par la vitre pour ne pas rater sa station. Elle grava dans sa mémoire les divers rendez-vous et obligations de la semaine et soupira à la vue de la mention " remettre le dossier Lufthansa à Levasseur ". Elle pensa : " Cet imbécile de Levasseur ! Avec son foutu manque d’organisation et son laisser-aller, j’aurai encore travaillé pour rien. Il va laisser traîner le dossier quelque part et l’oublier, ce flemmard ".

    Au bureau, rien n’allait jamais comme elle le voulait. L’entreprise était minée par l’incompétence de la plupart de ses employés et par l’incohérence de prises de décision contradictoires. " Tout marcherait beaucoup mieux si l’on m’écoutait un peu ", se disait Christine. Mais personne ne se souciait jamais de ce qu’elle avait à dire et c’était très frustrant. La seule personne qui daignait parfois l’écouter était justement Levasseur. Mais il n’en tenait pas compte pour autant, ou bien, oubliait purement et simplement ce qu’elle lui avait exposé. En fait, Christine le soupçonnait de lui prêter attention pour des raisons tout autres que professionnelles, témoin ses fréquentes invitations à dîner pour ´ discuter boulot ª. A vrai dire, elle le trouvait assez séduisant, et elle se serait volontiers laissée " emballer " (dire que, ces derniers temps, sa vie sexuelle avait été plutôt plate serait un euphémisme) si ce Levasseur ne lui avait un peu trop rappelé le père de Sébastien par son désordre et son laxisme. Et puis, il était hors de question pour Christine d’avoir une liaison avec un collègue de bureau. Elle tenait bien trop à son indépendance et ne voulait pas s’enchaîner à la fois sentimentalement et professionnellement. L’idéal, pour elle, aurait été de rencontrer un homme beau et organisé avec qui elle eût pu faire l’amour sur rendez-vous.

 

***

 

    Christine se berçait du vrombissement de l’avion. Dans un instant, elle sauterait dans le vide et serait complètement libre.

    Ces sauts en parachute qui occupaient nombre de ses week-ends étaient véritablement une délivrance (elle disait souvent en plaisantant que c’était la meilleure façon de s’envoyer en l’air). Ils lui permettaient d’échapper aux problèmes du quotidien.

    Une petite lumière clignota. Une voix retentit : " Vas-y, Chris, montre-leur ce que tu sais faire ". Elle sourit. Oui, elle allait montrer aux débutants embarqués dans l’avion comment effectuer un saut impeccable.

    Elle se leva et s’approcha du vide. A chaque fois, c’était la même fascination. Oubliés les emplois du temps, les lettres à poster, les portes à fermer à clef, les responsabilités, les problèmes d’organisation... Il n’y avait plus rien d’autre que le ciel et la terre : quelques instants d’une totale liberté. C’est pour cette raison qu’elle préférait les sauts en solitaire : une telle sensation se partage difficilement.

    Elle sauta.

    Elle n’avait pas entendu la voix affolée qui l’avait appelée au dernier moment.

    (L’erreur est humaine. Il était inévitable qu’un jour Christine oublie quelque chose, malgré ses agendas, ses plannings, ses petits trucs mnémotechniques et son esprit d’organisation.)

    Ce n’est que lorsqu’elle sentit le vent sur son dos qu’elle comprit qu’elle venait de sauter sans parachute.

    " Non, c’est trop bête ! ", se dit-t-elle. Sa seconde pensée fut pour Sébastien. Le pauvre enfant serait sans doute confié à son père qui n’avait jamais su ni voulu s’occuper de lui. Quoique... après tout, il ne faisait pas de saut en parachute sans parachute, lui.

    C’est alors qu’elle vit un drôle de petit bonhomme rondouillard et souriant. Il tombait, lui aussi, sans parachute. Etait-ce une hallucination ?

– Bonjour, mademoiselle, lui dit-il poliment.

– Etes-vous réel ? Etes-vous un ange ? lui demanda Christine.

– Oh ! oui, je suis bien réel, du moins le crois-je. Mais je ne suis certainement pas un ange. Ou alors, les anges ne sont plus ce qu’ils étaient.

– Mais... je ne comprends pas. Que faîtes-vous ici ?

– Eh ! bien, ma foi, la même chose que vous, je suppose. Je pense que nous nous arrêtons tous deux au rez-de-chaussée ?

– Mais comment en êtes-vous arrivé là ? Vous aussi, vous avez oublié votre parachute ?

– Oh ! non. C’est une longue histoire. J’ai été... disons : catapulté ; oui, c’est bien le terme. Mais je crains de n’avoir pas le temps de vous expliquer tout cela.

– Alors, nous allons mourir ?

– Il le faut bien.

– Mais, c’est si injuste ! A cause d’une erreur idiote ! Vous, vous êtes vieux, vous vous en fichez. Mais moi, je suis jeune, j’ai un enfant, je ne veux pas mourir.

– Allons, jeune dame. Il ne faut pas dire de telles choses. Si cela peut vous rassurer, voyez-vous, je connais bien la mort, comme toutes les personnes d’un certain âge. C’est plutôt pesant, car plus on la connaît, plus on la rejette. C’est pour cela que des mécréants notoires se mettent à croire en Dieu au crépuscule de leur vie. Quand on s’est trop attardé dans l’existence, on a pris l’habitude de la vie, on devient conservateur. On a peur de la nouveauté (surtout si celle-ci est définitive). Mais vous, vous allez découvrir en même temps la théorie et la pratique. Mourir sera pour vous une expérience...

– Vous racontez n’importe quoi.

– Oui, c’est vrai. Je vous prie de m’excuser. Je désirais seulement vous apaiser. Mais, voyez-vous, il ne faut pas attacher trop d’importance à la vie. C’est, il est vrai, la seule chose importante, mais précisément parce qu’elle est futile et sans fondement.

– Bon, je suppose qu’il n’y a plus rien à faire. Le mieux est de ne pas penser à tout ce que je perds. J’aurais bien aimé savoir à l’avance, tout de même. Je me serais un peu plus dépêchée de vivre. J’aurais annulé mes rendez-vous de la semaine prochaine. Et puis j’aurais inscrit sur mon agenda, à la page d’aujourd’hui : ne pas oublier de mourir.

– Je suis content que vous réagissiez ainsi. C’est plus raisonnable.

– Ah ! Si j’avais su... je me serais tapée cet idiot de Levasseur.

– Qui est-ce ?

– Oh ! rien. C’est un imbécile, mais il me plaisait bien, finalement.

– Je vois. Vous auriez voulu mourir comme Félix Faure.

– Qui ça ?

– Félix Faure. Un homme qui eut incontestablement une belle mort. Il ne la méritait pas, pourtant : ce n’était qu’un homme d’Etat.

– Connais pas. Quand-même, avant de mourir, j’aurais bien... mais pas avec vous, sans vouloir vous offenser, et pas comme ça. Dommage. Je suis contente de vous avoir connu, malgré tout.

– C’est tout-à-fait réciproque, mademoiselle, soyez-en certaine.

– Vous êtes gentil. Maintenant, excusez-moi, mais je vais fermer les yeux et me boucher le nez, c’est plus prudent. J’ai toujours fait ça à la piscine.

    Christine s’écrasa au sol entre deux vaches qui broutaient paisiblement en rêvant de trains qui passent. Il est probable qu’elle n’eut pas le temps de souffrir, mais il ne faut jurer de rien. Toujours est-il qu’elle n’avait pas crié. Quant à Declan O’Connor, il ne fit que rebondir sur le sol, pulvérisant par la même occasion une troisième vache qui, absorbée par ses rêves béats, n’avait rien vu arriver. L’heure de Declan O’Connor n’était pas encore venue : au lieu de s’écraser comme tout mortel l’aurait fait, il fut projeté de nouveau dans les airs. Car, comme disait à peu près le grand Sophiste : " tout homme qui s’élève sera abaissé et celui qui s’abaisse sera élevé ". " Et ainsi de suite ", pourrait-on ajouter.

 

FIN

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