Le lave-vaisselle |
Une nouvelle de Siegfried Gautier (1991)
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Dimanche.
Dimanche dernier, le lave-vaisselle est tombé en panne. Papa tient absolument à le réparer lui-même parce que lui, il répare toujours tout sans avoir besoin de personne. Et puis, chez nous, on naime pas les plombiers, cest Papa qui le dit. Maman, elle, je crois quelle aime bien les plombiers, parce quelle aime bien les gens. Pas comme Papa. De toute façon, il ne faut pas quun plombier vienne ici parce que linstallation électrique, cest Papa qui la faite lui-même et si un électricien voyait ça, il nous interdirait dhabiter ici. Et " les plombiers, cest comme les électriciens " a dit Papa qui naime pas non plus les garagistes. Dailleurs il les appelle tous des plombiers. Comme les électriciens et les réparateurs de télévision. Alors Maman a dit à Papa : " On voit bien que cest pas toi qui faisait la vaisselle quand on navait pas de lave-vaisselle ". Et cest vrai : on navait pas de lave-vaisselle autrefois. Mais Papa a répondu : " je ne peux pas tout faire. Moi je répare déjà le lave-vaisselle. Tu ne voudrais pas quen plus je fasse la vaisselle, non ? ". Alors Maman a dit quelle attendait de voir, en faisant la même tête que Pouppy quand on lui donne une croquette mais lui, cest le gros os quil voulait, celui quon ne lui donne jamais parce que sinon il vomit partout une fois quil la mangé et cest Maman qui nettoie le vomi, car si cest moi, ça me fait vomir. Elle aussi des fois, mais moins que moi.
Dimanche.
Dimanche dernier, Papa a essayé de déplacer le lave-vaisselle pour aller le trifouiller par-derrière. Il a fait un gros " han ! " comme moi quand je pousse très fort aux waters parce que rien ne vient. Dailleurs rien nest venu. A part le voisin du dessous. Celui à qui on ne dit jamais bonjour quand on le croise dans lescalier parce quil ne nous dit jamais bonjour non plus, tout ça depuis que Pouppy a fait caca un jour sur son paillasson. Quand jai ouvert la porte, Pouppy est allé se punir tout seul dans sa niniche en donnant sa papatte dans le vide parce que personne ne lui avait demandé de la donner, sa papatte. Cest fou comme il a de la mémoire, Pouppy ! Il doit encore se souvenir de lhistoire du caca sur le paillasson. Le voisin aussi, mais lui, il ne venait pas pour ça. Il voulait seulement savoir si ça allait durer longtemps, ces bruits de sauvage. Je crois quil voulait parler des gros mots que Papa avait hurlés en donnant de grands coups de pieds dans le lave-vaisselle qui ne voulait pas bouger, avec un "s" à "pied" parce quil en a deux. Des pieds. Dans ces moments-là, il ne devrait pas monter, le voisin, parce que quand Papa cogne sur les lave-vaisselle, cest quil est très colère. Justement, il était très colère et il a mis une grande baffe sur le nez du voisin. Alors, Pouppy sest mis à aboyer. Lui, il laime bien, finalement, le voisin.
Dimanche.
Dimanche dernier, Papa a réussi à dégager le lave-vaisselle. Il était très fier, mon Papa. Pourtant, Maman nest pas contente car depuis dimanche dernier, elle doit grimper sur le lave-vaisselle et redescendre de lautre côté pour aller faire la vaisselle dans lévier. On a une cuisine très étroite, il faut dire.
Dimanche.
Dimanche dernier, Papa a éventré le lave-vaisselle. A lintérieur, cest tout plein de trucs compliqués, de poussière et de gras. Moi, je naime pas le gras. En plus, jai pris une taloche parce que je regardais, et Papa, ça lénerve quand je le regarde réparer quelque chose, même si ce nest pas moi qui lai cassée, la chose. Je ne sais plus si jai pleuré, mais cest possible, parce que cest agréable de pleurer quand on se prend une taloche, et puis quand je pleure, souvent, on arrête de me taper parce que je pleure déjà, alors ce nest plus la peine. Cest pour ça que je mentraîne à pleurer avant de recevoir des taloches, mais cest dur parce que cest surtout les taloches qui me font pleurer. Des fois, si je pleure, Maman vient me consoler et elle dit à Papa : " Arrête de martyriser mon fils ". Alors ils se disputent. Jaime bien quand ils se disputent à cause de moi. Ça fait plein de bruit et pendant ce temps-là, je peux tirer la queue de Pouppy. Il fait " kaï kaï ! " mais Papa et Maman nentendent pas parce quils crient très fort. Plus fort que les " kaï kaï ". Le voisin du dessous non plus, il nentend rien. Je crois que la baffe de Papa, lautre fois, ça la rendu un peu sourd. La preuve : il ne répond toujours pas quand on ne lui dit pas bonjours dans lescalier. Mais dimanche dernier, Maman nest pas venue me consoler quand jai pris une taloche. Au contraire, elle ma grondé parce que je dérangeais mon père et quelle en avait assez de devoir passer par-dessus le lave-vaisselle pour aller faire la vaisselle. Elle ma enfermé dans ma chambre avec interdiction den sortir. Moi, jaime bien quand on menferme dans ma chambre. Comme ça, je suis dans ma chambre. Sinon, quand je suis dans ma chambre sans y être enfermé, il y a toujours quelquun qui vient me demander ce que je fais et regarder si je suis sage. Où quelquun qui vient chercher quelque chose parce que, dans ma chambre, il y a plein de choses qui ne sont pas à moi. Alors je nai pas vraiment limpression dêtre dans ma chambre mais plutôt dans la chambre de tout le monde. Finalement, je ne suis vraiment dans ma chambre à moi que quand on minterdit den sortir. Cette fois, jétais donc vraiment dans ma mienne, de chambre, quand jai entendu un grand " aïe ! " avec plein de gros mots autour, et la lumière sest éteinte. Depuis, on séclaire à la bougie, en attendant que Papa répare lélectricité qui a sauté.
Dimanche.
Dimanche dernier, Papa et Maman se sont disputés parce que Papa navait plus de chemise propre. Moi non plus, mais ça ne me dérange pas. Au moins, on ne me gronde plus quand je me salis. Alors Maman a dit que les chemises de Papa seraient propres quand elle pourrait utiliser le lave-linge, cest-à-dire quand Papa aurait réparé lélectricité et peut-être aussi le lave-vaisselle. Moi, jai demandé si le lave-vaisselle était contagieux, comme quand javais eu la varicelle, sauf que quand javais eu la varicelle, cétait moi qui étais contagieux et non le lave-vaisselle. Mais Maman ma mis une claque. Je crois que Papa aurait bien aimé me la donner aussi, cette claque, mais Maman avait été plus rapide que lui. Tant mieux. Je préfère les claques de Maman, elles font moins mal. Jai pleuré quand-même, au cas où Papa aurait voulu participer. On ne sait jamais, je les sens très colère depuis quelque temps. Cest drôle, quand Maman me donne une claque, Papa sen fiche de savoir qui me la donne, de lui ou delle, et ils ne se disputent pas. Alors que Maman naime que les claques quelle me donne elle-même ou bien celles quelle commande à Papa pour moi, quand elle nest pas assez près pour men donner elle-même ou quand elle veut que jen reçoive une vraiment très forte, plus forte que la plus forte de ses claques à elle. Pendant que je pleurais, ils ont continué à se disputer et Papa a dit que si cétait comme ça, il allait prendre sa voiture pour ne jamais revenir. Il a dû oublier que la voiture est déjà partie sans lui, sur la grosse camionnette dun plombier pour voitures, après laccident quon a eu lautre jour en revenant de la boutique des plombiers pour télés. Cest fou ce quon peut leur prêter à tous ces plombiers !
Dimanche.
Dimanche dernier, Maman a crié que ça ne pouvait plus durer et quelle en avait assez de faire la vaisselle à la main et à leau froide. Car il ny a plus deau chaude depuis quil ny a plus de lumière. Et si la vaisselle est comme moi, elle ne doit pas aimer se laver à leau froide. Je ne lai dit à personne, mais je suis toujours sûr que le lave-vaisselle est contagieux. La preuve : Papa ny touche plus. Il doit avoir peur dattraper la même maladie que lui. En tout cas, jai bien fait de ne pas en reparler parce que Maman est déjà très colère. Elle a dit plein de gros mots, mais moins gros que ceux de Papa. Et puis elle a jeté toute la vaisselle par terre en disant que puisque cétait comme ça, elle allait tout casser pour de bon et quelle naurait plus jamais besoin de faire la vaisselle et même quelle allait retourner chez sa mère qui est aussi ma grand-mère. Moi, je ne peux pas retourner chez ma mère parce que je suis déjà chez elle. Papa, lui, na pas dit quil allait retourner chez sa mère qui est aussi ma grand-mère mais pas la même. Il na rien dit. Il sest baissé et a commencé à ramasser les bouts dassiette et de verre, pour être gentil. Et puis il sest coupé et alors il sest énervé. Tout le monde a crié. Même Pouppy et moi. Cest Pouppy qui a gagné. Il fait beaucoup de bruit quand il veut. Pourtant, je ne suis pas mauvais non plus.
Dimanche.
Dimanche dernier, Papa sest mis à creuser dans les murs pour sortir les fils électriques parce que, quand il a installé lélectricité à la maison, il a bien camouflé tous les fils dans du plâtre pour que ça fasse plus joli et quaucun plombier ne puisse voir ce quil avait fait et copier sur lui. Il na pas arrêté de se faire mal et il sest mis plein de pansements partout qui ne tiennent pas bien. Car ce nest pas facile de se mettre des pansements dans le noir. Il faut dire quil y a beaucoup de courants dair depuis que Papa a cassé une vitre du salon en lançant un marteau avec lequel il venait de se taper sur les doigts. Alors bien sûr, on ne peut plus allumer de bougies parce que les courants dair les éteignent tout de suite.
Dimanche.
Dimanche dernier, Pouppy a mangé tout plein de bouts de fils électriques et de pansements qui traînaient par terre, et il a vomi partout. Dans le noir, Papa a marché dedans et il a glissé. Il est tombé en avant, le nez dans le vomi et il a vomi, lui aussi. Alors, il est allé mettre un grand coup de marteau sur la tête de Pouppy et ça a fait un petit bruit bizarre. Quand elle a vu ça, Maman a beaucoup ri. Ça faisait longtemps quelle navait pas ri comme ça. Lennui, cest quelle ne sest plus arrêtée de rire. Ça devient énervant. Ce qui ménerve aussi, cest que quand je tire la queue de Pouppy, il ne fait plus " kaï kaï ". Je crois que le coup de marteau la rendu sourd de la queue.
Dimanche.
Dimanche dernier, jai essayé de jouer à cache-cache avec Maman. Comme elle narrêtait pas de rire, je me suis dit quelle voulait peut-être samuser. Et justement, cache-cache, cest rigolo, dans le noir. Mais jai entendu Papa lui dire darrêter de rire comme ça. Il avait une très grosse voix. Peut-être quil voulait jouer à lui faire peur. En tout cas, ça a marché. Jai entendu un petit gargouillis et puis plus rien. Maman a arrêté de rire. Alors, avec une très très grosse voix, Papa ma appelé plusieurs fois, mais je nai pas bougé. Ça ne serait plus du jeu. Sil veut me trouver, il doit me chercher. Il a cherché. Il cherche. Mais il ne me trouvera pas. Parce que je me suis caché dans le lave-vaisselle. Et moi, je ne crains rien. Je lai déjà eue, la varicelle.
FIN
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